Ne confondez pas piqué et netteté

Les deux mots ont chacun leur définition propre, et on ne peut les substituer. Pour apprendre les bases de la photo, vous devez comprendre la différence entre les deux.

Évitons de confondre piqué et netteté. Le piqué est la capacité du couple objectif/capteur [ou objectif/film] à restituer de très petits détails

La notion de netteté est fréquemment confondue avec celle de piqué. Le piqué est une propriété de l'objectif, liée en particulier au pouvoir de séparation qui caractérise son aptitude à enregistrer de fins détails

-- "Tous Photographes" - Jacques Croizier - Dunod

De très nombreuses personnes confondent Piqué et Netteté, et ne considèrent pour établir la qualité de l'optique, que les zones nettes de l'image. Le piqué est l'aptitude de l'optique (plus précisément du couple optique/support - Capteur ou film) à restituer des détails. Mais les meilleures optiques sont aptes a restituer des détails également dans les zones floues

Une image n'est que partiellement nette, surtout à grande ouverture. En fait - même a grande ouverture, une image n’est nette que dans le plan de focus (plan du point). Tout le reste est flou, même dans la zone de Profondeur De Champ.

On pourrait également dé-focuser (décaler le point) sur une photo et observer le résultat : une optique de piètre qualité donnera un résultat illisible. Une optique de qualité continuera à donner des éléments discernables, voire lisibles.

La très grande majorité des optiques sont capables de restituer nettement les zones nettes. Mais cela ne suffit pas à établir que l'optique est de qualité. Si c’était le cas 99% des optiques du marché seraient "de qualité exceptionnelle". Les constructeurs comptent sur cet attrait du public pour la netteté (et la marketent à fond) afin de masquer les faiblesses de leurs optiques dans les zones floues. C'est une recette qui semble fonctionner, sauf pour celui qui a l'œil averti.

Seule une optique de qualité sera capable de restituer des détails dans les zones floues, tout autant que dans les zones nettes. Le flou sera "lisible", avec des détails parfaitement perceptibles à tel point qu'on pourra parfois percevoir des zones comme "nettes" alors qu'en fait, elles se trouvent dans la zone floue.
Il sera nécessaire de se rapprocher du tirage (ou de zoomer dans l'image numérique) pour se rendre compte que la zone concernée est en fait "dans le bokeh".

Ces flous relatifs, depuis les plus subtils jusqu'aux plus marqués engendrent un rendu "3D" et une impression de "profondeur" dans l'image, accompagnés d'une douceur générale dans les textures et dans les transitions.

A l'opposé, les optiques très nettes dans la zone du point et médiocres dans le flou auront un rendu très "sec" et dur, avec des arrière plans illisibles et "crémeux" (aplats flous sans détails), parfois chargés d'artefacts, de dédoublements et d'images fantômes (parties de l'image "inventées" par l'optique et qui n'existent pas dans la scène). Le passage de la texture nette à la "texture" floue se fera sans subtilité. Ceci est souvent aggravé par l'usage inapproprié d'ouvertures très grandes, qui mettent en évidence les défauts de ces optiques.

Les optiques médiocres auront tendance a écraser les plans les uns sur les autres, quelle que soit l'ouverture, supprimant ainsi tout notion de "3D" dans l'image. C'est le cas de tous les zooms 24x36, quelle que soit leur marque et leur prix. Un zoom est un objectif "utilitaire" fait pour le reportage. Ils est conçu pour avoir un sujet sur le point parfaitement restitué et avec un maximum de netteté, sans attention particulière portée au reste de l'image. Il faut donc absolument proscrire les zooms en portrait "artistique", ils ne sont pas faits pour cet usage.

Les optiques fixes a grande ouverture "écrasent tout" à partir de ƒ/3,5, quel que soit leur prix ("effet rideau"). Ouvrir à ƒ1,8, ƒ1,4 ou ƒ1,2 permet de travailler en situation de basse lumière. Mais d'un point de vue restitution optique (lisibilité des détails et sensation de "3D"), on se trouve largement au delà des limites de l'objectif : tous les plans sont compressés, écrasés et in-distinguables les uns des autres.

La qualité du bokeh dépend largement de la construction de l’optique. Pour cette raison, les optiques qui fournissent un bokeh de grande qualité sont onéreuses.
— Harold Davis, Practical Artistry: Light & Exposure for Digital Photographers, 2008

Un “beau bokeh bien flou” “bokeh crémeux” ou “Bokehlicious”

Cette notion - purement sortie d’un chapeau et totalement inventée - est probablement la plus risible (si tant est que l’on puisse en rire) et la plus grosse manipulation concernant le sujet du bokeh. On peut supposer qu’elle provient de certains constructeurs d’optiques dans le but de vendre leur matériel…

Ce genre de d’invention ne peut être crue que par les gens qui n’ont jamais vu le rendu donné par des optiques de qualité. Lorsqu’on sait ce qu’est vraiment un bokeh de qualité (le flou dans les zones hors focus) on sait très bien que les zones totalement dépourvues de détails démontrent en fait que l’optique est incapable de restituer de la matière et que donc, on a dépassé depuis longtemps les limites de performances de l’objectif.

Bien sur, l’apparition de ce “mauvais flou lisse” est parfois inévitable et on doit faire avec. Y chercher une prétendue “qualité” tient avant tout de la tromperie intellectuelle.

L’analyse du flou illisible : la “lecture dans le marc de café “ de l’industrie des optiques photo.

La encore, ne vous faites pas avoir. Comme nous l’avons vu précédemment, lorsque le flou est totalement lisse, on se trouve depuis bien longtemps totalement hors des limites de qualité de l’optique : ce que vous observez n’a pas une prétendue “qualité” mais uniquement les défauts et les limitations de l’optique. Et je ne parle même pas de croyances ridicules concernant la forme des taches de lumière dans les zones hors focus. N’oublions pas également le bokeh “crémeux” !

Ne soyez pas naïf et crédule au point de croire à ce type de manipulation. Mieux vaut en rire…

Ne vous faites pas avoir : ne “gobez” pas ces entourloupes grossières. Aiguisez plutôt vos yeux pour savoir ce qu’est un beau rendu. Cet article essaye de vous donner les moyens de pouvoir le faire.

La lisibilité dans les zones floues

Contrairement à ce que l'on pourrait penser à première vue, l'image ci-dessus est totalement dans le flou, sauf ce qui se trouve dans le plan de l'iris de l'œil

On s'en rend mieux compte en zoomant dans l'image...

La progressivité dans le passage « de net à flou »

La progressivité est déterminante dans la qualité de lecture d’une image. Un passage brutal de net à flou (ou inversement) « heurte » le confort de lecture.

Les points ci-dessous sont souvent confus ou mal compris : 

  • Une optique de qualité médiocre dans les zones floues et dont la netteté est excessive ou agressive dans la zone du point, donnera une mauvaise progressivité. Elles présenteront un "changement de texture" très désagréable à l'œil

  • La progressivité est relative à l'ouverture

  • La progressivité est non dépendante de la PDC. Donc le problème n'est pas de faire un portrait "à faible PDC", mais "à trop grande ouverture", ce qui ne veut pas dire la même chose. En ce qui me concerne, il m’arrive souvent dêtre à Pleine Ouverture en MF (c'est à dire... à f4 !) et à f4 en 24x36. Mais la progressivité est meilleure à ƒ/5,6, à ƒ/8 ou à ƒ/11.

  • La progressivité est non dépendante du format. Le MF a la même progressivité à f4 que le 24x36 à f4. Mais, à f4, le MF à une PDC équivalente à celle du 24x36 à f2,4 et, la qualité des optiques fait que cette progressivité est également représentée de manière plus douce et détaillée. Il est évident qu'un 100HC Hasselblad, même ouvert à f2,2 à un rendu sans commune mesure avec un 85 f1.2 à f2,5. mais le passage de net à flou est aussi court sur les deux optiques. On ne s'en rend pas compte car la PDC sur le HC100 est bien plus courte (équivalente à celle d'une optique 24x36 ouverte à f1,4) et sa qualité optique est sans comparaison.

  • La progressivité ne change pas avec la distance de prise de vues (pas de manière significative). Seule la PDC change.

  • Au delà d'une certaine ouverture (disons a partir de ƒ/3,6) en plus de l’absence de progressivité, on assiste a une phénomène d'écrasement des plans se trouvant dans le flou, pour aboutir a une sensation de "décor peint sur un rideau de fond" que j'appelle "effet rideau". Cette perte de profondeur va se manifester plus ou moins selon la qualité des optiques, mais elle finit par se produire au fur et à mesure que l'on ouvre le diaph, quel que soit l'optique utilisée.

Donc c'est juste un fait facilement observable : à f1,2 il n'y a aucune progressivité et le passage de net à flou se fait d'un seul coup. La solution consiste à fermer l'optique à f4 (par exemple) pour retrouver une progressivité correcte. Sur les très bonnes optiques (Canon 100 f2, Canon 135 f2, Canon 50 f1.2, on peut aller jusqu’à f3,2 voire f2,8 ou f2).

Évidemment, en petit format, on aura plus de Profondeur De Champ pour cette même ouverture, mais cette solution consistant à fermer est à mon avis préférable, d'autant qu'en plus, les optiques se trouvent alors dans une zone de meilleure qualité optique.

La photo ci dessus, légèrement recadrée, à été réalisée à courte PDC sur un Canon EOS 5D à ƒ4 avec le 135 ƒ2 qui est selon moi une des meilleures optiques Canon (de loin bien meilleure que la 85 f1.2, car bien plus homogène). On voit que le piqué est correct (les cheveux sont "distinguables" dans le bokeh par exemple) et la progressivité reste "en pente relativement douce".

Ci-dessus, une image réalisée au HC210 à 210 mm sur un Hasselblad. L'angle de champ est le même que le 135 Canon en 24x36, la distance est la même (3 mètres) l'ouverture est la même. On voit nettement que la PDC est plus courte.

Mais dans les deux cas, la progressivité est identique.

Je pense que les critiques sur les photos a (trop) grande ouverture viennent de l'incompréhension. Les gens qui utilisent ces optiques ne comprennent pas ou n'ont pas conscience ce qui est décrit ci-dessus et font dans ce cadre, un mauvais usage de leur objectif.

Une optique ouvrant à f1,2 n'est pas faite pour faire des portraits rapprochés à f1,2, au risque de mettre en évidence les limites et défauts du petit format et/ou de leur objectif chèrement acquis.

On lit parfois cet argument qui dit "si j'ai acheté cette optique ƒ1,2, c'est pas pour l'utiliser à f4"; La encore, nous avons une indication de cette mauvaise compréhension.

La grande ouverture est destiné à être utilisée en cas de très basse lumière, ou pour faire des photos "a deux plans" (un net, un flou), mais certainement pas de images qui mettent des éléments "en perspective" (car lorsque des plans successifs doivent être représentés, on a besoin de progressivité). Or, un portrait rapproché met des éléments en perspective : regard, tempes, oreilles, cheveux...

Les utilisateurs de Moyen Format parlent souvent de cette "différence de progressivité" (qui techniquement n'en est pas une, comme décrit ci-dessus) à juste titre. Cette "différence de progressivité" entre 24x36 et Moyen Format est due au fait que à PDC comparable, le diaph sera plus fermé en Moyen Format. La progressivité sera "douce", et cette progressivité sera donc due à l'usage d'un diaph plus fermé.

Progressivité, piqué et sensation de profondeur

La photo ci-dessous (et le détail à droite) permet d'illustrer la manière dont une optique piquée va donner une sensation "3D", en restituant toutes les nuances de flou et de net. On peut juger de l'excellente lisibilité des arrière plans, et donc du piqué de l'optique. On aurait obtenu encore plus de progressivité et de “sensation tridimensionnelle” si cette image avait été réalisée à ƒ/8 par exemple.

Ci-dessus, un portrait non retouché (simple développement dans Lightroom)
On peut constater que lorsqu'une optique pique réellement, il n'est pas nécessaire d'utiliser le subterfuge d'une infographie excessive ou spécifique des yeux : le regard se détache "tout seul". Ce n'est pas Photoshop qui fait la force du regard. C'est le travail avec le modèle au moment de la prise de vues. Et c'est la manière dont l'optique retranscrira ce regard.


Et pour changer de style, cette photo de paysage réalisée par Jean-Marc Kuntz, au Moyen Format numérique
Vous pourrez apprécier la représentation en profondeur des différents plans dans l'image :

- Les montagnes au loin, elles-mêmes sur des plans successifs
- Le village au creux de la vallée
- Les différents chalets en ribambelle mais dont les toits sont bien échelonnés en profondeur plutot que d’être "les uns sur les autres"
- La finesse, la douceur, la lisibilité dans le flou, le piqué, etc...

Ci-dessous, vous trouverez quelques photos réalisées en 24x36, avec une optique Leica (Summilux 75) sur Leica M
Photos : DR
On pourra observer l'excellente lisibilité des arrières plans, la progressivité (relative selon l'ouverture utilisée), et la douceur générale

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